Shiai – Réflexion sur les compétitions

L’autre jour, Chantal et moi, étions en train de regarder qui de nos karatéka étaient inscrits à la compétition du 10 novembre, et ce, avec l’objectif de mettre sur pied un plan de match efficace en vue de les préparer. Peu à peu, nous commencions à dévier du sujet principal, comme d’habitude!

Nous nous remémorions les compétitions auxquelles nous avons participées par le passé. Nous nous rappelions des émotions, des grands moments, de nos victoires et de nos défaites vécus sur le shiai, ce qui nous a amené à quelques réflexions sur les compétitions de karaté. C’est en toute humilité que nous les partageons avec vous.

Tout d’abord, «shiai» est le terme qui désigne la surface où se déroule une épreuve de compétition dans les arts martiaux japonais. Par exemple, en karaté, on y retrouve les épreuves du kata, du kumite, du enbu et plus encore.

Shiai - Se tester soi-même et les autresShiai – «Se tester soi-même et les autres»

Par contre, le mot shiai ne désigne pas seulement la surface où se déroule une épreuve de compétition. Il a une autre signification encore plus importante. De 2003 à 2008, Chantal et moi, nous nous sommes entraînés au prestigieux camp international de San Diego avec Maître Hidetaka Nishiyama (1927-2008). Ce dernier nous rappelait, à chaque année, que shiai voulait aussi dire «test each other», c’est-à-dire se tester soi-même et les autres.

Se tester soi-même et les autres? Oui, tester ses habiletés physiques, son mental et son caractère, peu importe l’épreuve de la compétition, les adversaires, nos forces et nos faiblesses. D’accord, mais pourquoi? Selon nous, pour vérifier la progression du karatéka en vue de l’aider à se développer dans la voie du karaté car la compétition ou shiai est un complément de l’entraînement régulier fait au dojo. Toutefois, ce n’est pas une fin en soi mais c’est un beau défi à relever.

Gagner à tout prix n’est pas l’objectif ultime de notre art. En effet, lors de la 1st World Budo Conference (Varsovie, Pologne, 2007), Sensei Nishiyama disait ceci : «Sport coaches develop champions for winning. Budo coaches develop champions for life.» Et bien avant lui, son maître, Sensei Funakoshi disait la très célèbre phrase suivante : «Le but ultime du karaté-do n’est point la victoire ou bien la défaite, mais la perfection du caractère humain.»

Budo - «La voie pour arrêter la guerre»Budo – «La voie pour arrêter la guerre»

Ces citations nous rappelle que le karaté est plus qu’un sport, c’est d’abord et avant tout un art martial. Et le but des arts martiaux traditionnels japonais, aussi nommés Budo, est de développer des habiletés au combat, d’acquérir un sens de l’éthique et développer son caractère afin de devenir une meilleure personne en société.

Bien sûr, à l’entraînement et lors des compétitions, c’est la responsabilité de tous et chacun (entraîneurs, arbitres, élèves, parents et spectateurs) de prendre en considération les points suivants :

  • Le décorum: les élèves apprennent l’humilité, la modestie et le respect des instructeurs, des compétiteurs, des arbitres et autres personnes qui sont liées de près ou de loin à l’univers du karaté, tant au dojo qu’en compétition. Ainsi, cela créera un environnement harmonieux au karaté et dans les autres sphères de la vie de tous les jours;
  • Les émotions stables: l’entraînement et la compétition, à long terme, développent la stabilité des émotions. Cela amène la personne à réagir calmement avec un jugement claire et limpide, selon les situations;
  • L’attitude sérieuse et l’intensité: à l’entraînement comme en compétition, l’élève qui s’implique à fond mentalement et physiquement, c’est-à-dire avec sérieux et intensité, fera de même en dehors du karaté (école, travail, famille, etc.);
  • Le dépassement de soi: l’étude des arts martiaux requiert un effort constant. Alors, mettre tous les efforts possibles afin de se surpasser chaque jour est très important. Ceci permet d’éviter la paresse et l’oisiveté et cela aura des effets positifs au quotidien;
  • La discipline et l’ardeur à l’entraînement: toujours en tenant compte que la compétition est un complément à l’entraînement au dojo, la discipline et l’ardeur sont des éléments fondamentaux dans la pratique régulière du karaté-do traditionnel. Selon Sensei Nishiyama, en psychologie sportive, il est dit que ces éléments viennent à bout du doute, de la peur ainsi que de la nervosité.

Ces cinq éléments sont en fait l’héritage que Sensei Hidetaka Nishiyama a légué en tant que philosophie de pratique du karaté traditionnel mais aussi en tant que philosophie de vie. Dans nos rôles de karatéka et d’instructeurs, cela nous a grandement influencé, Chantal et moi, car nous aussi nous cherchons à vouloir transmettre cette philosophie de pratique et de vie à nos élèves. C’est pour cela que nous voulons éduquer ceux-ci afin de leur faire comprendre que la recherche de hauts standards techniques et le développement personnel est bien plus important que de gagner une compétition.

Malheureusement, il arrive des fois que des instructeurs, des compétiteurs de même que des parents de karatéka pervertissent la philosophie du karaté. On le voit par leurs attitudes, par leurs façons de faire: les mauvais gagnants, les mauvais perdants, les conduites anti-sportives d’entraîneurs et de compétiteurs, les parents qui engeulent les arbitres, les coachs qui disent à leurs athlètes de se laisser tomber par terre lors de contacts légers, et même des fois sans contacts (pour tenter de pénaliser l’adversaire), etc. Quand un coach de karaté exerce de la pression sur ses athlètes au point de les rendre malades, il y a quelque chose qui ne va pas. Quand un karatéka traite les arbitres de «vendus», on est loin du message de Sensei Funakoshi. Quand un parent dit à son enfant lors d’un combat «cogne-le», le parent a besoin d’être éduqué. Croyez-moi, je n’invente rien. Ce sont toutes des situations que nous avons observées ou auxquelles nous avons été confrontées Chantal et moi lors de nos multiples compétitions.

À notre humble avis, voilà où amène la soif de la victoire, la recherche absolue de la gloire, des médailles, du prestige et de la performance. Nous croyons sincèrement qu’il est de la responsabilité des instructeurs de chaque dojo de transmettre une philosophie plus saine du concept shiai (se tester soi-même et les autres), un concept davantage axé sur l’esprit Budo. Il y a une grosse différence entre parler et passer à l’action. Il faut d’abord prêcher par l’exemple. Et les compétitions sont le reflet de ce qui se passe dans un dojo.

En résumé :

  • «Shiai» est le terme qui désigne la surface où se déroule une épreuve de compétition dans les arts martiaux japonais (judo, karaté, kendo, etc.). Il a une autre signification encore plus importante : «test each other», c’est-à-dire se tester soi-même et les autres par rapport à nos habiletés physiques, notre mental et notre caractère, peu importe l’épreuve de la compétition, les adversaires, nos forces et nos faiblesses;
  • La compétition ou «shiai» est un complément de l’entraînement régulier fait au dojo afin vérifier la progression du karatéka en vue de l’aider à se développer dans la voie du karaté, dans l’idéal Budo. On veut développer des habiletés au combat, acquérir un sens de l’éthique et développer le caractère de l’individu afin qu’il puisse devenir une meilleure personne en société;
  • «Sport coaches develop champions for winning. Budo coaches develop champions for life.» La victoire n’est pas une fin en soi au même titre que la défaite n’est pas la fin de toutes choses. L’important est de développer son humanité par l’entremise de notre art martial. Il faut avoir à l’esprit que la recherche de hauts standards techniques et le développement personnel est bien plus important que de gagner une compétition;
  • À l’entraînement et lors des compétitions, c’est la responsabilité de tous et chacun de prendre en considération les cinq points suivants: décorum; émotions stables; attitude sérieuse et intensité; dépassement de soi; discipline et ardeur à l’entraînement. Ces éléments sont l’héritage que Sensei Hidetaka Nishiyama a légué en tant que philosophie de pratique du karaté traditionnel mais aussi en tant que philosophie de vie.
  • D’après nos observations et les situations que nous avons vécues personnellement, des instructeurs, des compétiteurs de même que des parents de karatéka pervertissent la philosophie du karaté. Nous croyons que cela est causé par la soif de la victoire, la recherche absolue de la gloire, des médailles, du prestige et de la performance. Cela va à l’encontre de la philosophie des arts martiaux traditionnels japonais dont fait partie le karaté.
  • Nous croyons sincèrement qu’il est de la responsabilité des instructeurs de chaque dojo de transmettre une philosophie plus saine du concept shiai basée sur l’esprit Budo. Les instructeurs doivent d’abord prêcher par l’exemple.

Et voilà! Tel que mentionné au début, c’est en toute humilité que nous partageons avec vous nos réflexions sur les compétitions et, en général, sur le karaté en tant que Budo. C’est une philosophie que nous efforçons d’intégrer à notre dojo.

Utopique direz-vous? Vaut mieux espérer que désespérer, n’est-ce pas? Malgré tout, Chantal et moi ne sommes pas des philosophes et ne détenons pas la vérité. Nous avons tout simplement discuté karaté et partagé nos pensées avec vous.

Pour conclure, c’est votre droit d’être en accord, partiellement en accord ou en désaccord total vis-à-vis nos réflexions. Nous respectons cela. Si jamais vous voulez ajouter votre grain de sel, partager votre opinion sur le sujet, n’hésitez pas à le faire via Facebook. Il nous fera plaisir de discuter avec vous.

Au nom de mon instructeur en chef, Chantal Aubé, et en mon nom, bonne réflexion!

Paul L’écuyer
Assistant-instructeur en chef